Biographie réalisée par Ariane Chemin - Le Monde - 24 janvier 2002.

Le biographe de Victor Hugo bat les estrades pour Jean-Pierre Chevènement, dont il inspire la campagne. L'heure, pour lui, de rassembler ses certitudes successives, du soutien à François Mitterrand au vote pour Charles Pasqua.

 

Max Gallo prend sa respiration, et, d'un coup, les mains bien agrippées à la barre d'exercice qui traverse le couloir de son appartement, à plus de 2 mètres de hauteur, hisse impeccablement ses 69 ans en équerre à la force de ses seuls biceps. Longtemps, il a eu très mal au dos. Pour faire passer la douleur, il additionnait les tractions, puis passait à ses pages d'écriture. Aujourd'hui, le mal est dissipé. Max Gallo ne fait plus que trois rapides exercices de barre fixe le matin. Mais il a pris ses habitudes, et continue à écrire ses "dix mille signes par jour".

Max Gallo est bien, là, blotti sur la place des grands hommes. Sa vie de forçat des bios et ses fenêtres qui ouvrent sur le Panthéon sont depuis longtemps un mythe et une légende. "On a déjà tout écrit, sourit-il, le gallo-roman, les livres au galop..." Max Gallo qui se met au travail tous les matins, à 4 heures, au chaud dans sa robe de chambre. Max Gallo qui dévalise son marchand de journaux de toute la presse française et européenne. Max Gallo qui, au temps de la cyberpolitique et des traitements de texte, couche toujours ses livres sur sa machine à écrire, après s'être mis "en état d'obsession". "Quand j'écris et que c'est bon, j'ai la bouche emplie d'une saveur âcre. Mes humeurs sont en mouvement, comme on disait autrefois."

Comme cet homme devrait être heureux ! Depuis le temps qu'il appelle de ses vœux une force politique qui prenne la relève du Conseil national de la Résistance, le voilà, depuis le 19 janvier, président du nouveau "pôle républicain" réunissant, pour Jean-Pierre Chevènement, tous les "volontaires de l'an II", droite et gauche mélangées. C'est lui d'ailleurs qui avait convaincu son ami, en août 2000, lors de promenades communes à Belle-Ile, de rendre public plus tôt que prévu son départ du gouvernement. S'il a refusé le titre de porte-parole de campagne, c'est lui qui, tous les jours, l'inspire et la scande. Au mois d'août 2001, dans une tribune au Monde, il a fixé la "ligne" : "à la recherche du troisième homme". Haro sur les deux figures du Janus bifrons exécutif. Ses livres s'arrachent à des centaines de milliers d'exemplaires. Avec le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, il pourrait "passer l'année entière à l'étranger" tant les invitations ont afflué. Mais Max Gallo n'aime pas les voyages : "On perd du temps." Il a gardé de son père piémontais des souvenirs immobiles de lumière, de farniente et aussi de liberté. "Le plaisir essentiel, c'est d'être assis contre un mur chauffé par le soleil, avec une vue devant."

Impossible, pourtant. Car il y a du Martin Eden chez Gallo. Il fallait effacer les quolibets de "macaroni" et le CAP de mécanicien ajusteur, même si l'agrégé d'histoire a aujourd'hui épinglé le diplôme au-dessus de son bureau. Le prof niçois veut monter à Paris, éditorialiser à L'Express. Il veut tutoyer les puissants. Max Gallo a remplacé la baie des Anges par le Panthéon, parce que "je ne peux compenser la mer et la montagne que par des monuments historiques". Depuis ce premier succès, 750 000 exemplaires vendus depuis 1975, une force impérieuse le réveille chaque matin à 3 h 30. Il l'appelle, pour simplifier, son "horloge biologique". C'est évidemment à la fois beaucoup plus compliqué, et aussi, pour une part, beaucoup plus simple. Max Gallo n'est pas l'homme des doubles vies. Il a été marié quatre fois. Comme son premier éditeur et ami, Robert Laffont, il est un "monogame séquentiel". Et chaque mois apporte son lot de conséquentes pensions alimentaires.

Au fond, Max Gallo aimerait qu'un Sainte-Beuve du XXIe siècle se charge de lui, qu'on s'intéresse plus à sa personne qu'à ses livres. "On vient toujours me parler d'Hugo, de Napoléon, de De Gaulle. J'adorerais m'allonger sur le divan et qu'on m'écoute parler." Il fut pudique avec ses parents, il n'est plus certain de vouloir l'être aujourd'hui avec lui. Dans Je, histoire modeste et héroïque d'un homme qui croyait aux lendemains qui chantent (Stock, 1994), il raconte l'histoire de cet ancien mutin de la mer Noire qui portait tatouée sur son bras une ancre de marine sans jamais dire qu'il s'agit de son père. "C'est le seul livre que je relis, quand je veux m'émouvoir."

Pourquoi passe-t-il souvent, dans l'œil rond et bleu de Max Gallo, un trouble gris, à l'image de son grand et triste appartement ? "Il a le côté fondamentalement mélancolique des Méditerranéens", sourit le barriste et très décentralisateur Jean-Claude Casanova, son contradicteur dominical sur France-Culture. Max Gallo aimerait que la presse cesse d'éreinter ses livres : "Je n'ai jamais eu aucun prix, sauf celui des lectrices d'Elle. C'était il y a vingt-sept ans, ça m'a fait très plaisir." "La France ne reconnaît les écrivains populaires qu'après leur mort", s'indigne à son tour Jean-François Revel. Max Gallo voudrait que David, élève à Henri-IV, auquel il a écrit La France expliquée à mon fils, devienne aussi policé que les fils d'intellectuels du 5e arrondissement et entre un jour à Sciences-Po. Mais le charmant adolescent ébouriffé préfère lire le Corriere dello sport et expliquer gentiment à son père qu'il est "un Hollandais d'origine italienne". Le paternel soupire : "Je réalise aujourd'hui qu'il faut des années de patine historique pour faire partie des élites."

Allons-y, Max, sur le divan. "Je mesure 1,93 mètre, c'est à peu près la seule chose que je sais", sourit l'analysé. Quel coquet, ce Max, qui sait très bien que c'est la taille exacte du général de Gaulle ! Quel malin, ce Gallo qui depuis plus de trente ans superpose ses certitudes et tente de s'écrire un destin rectiligne ! En 1981, dans L'Express, il appelle à voter pour François Mitterrand. Le 9 janvier 1996, au lendemain de la mort de l'ancien président, il couche dans Le Figaro son désamour pour ce "stratège de son propre plaisir", sans but "historique ou politique", sans "aucun projet d'ordre social". Max Gallo ne veut plus parler de "ça", de "lui". Il ne répétera pas ce qu'il confiait alors à quelques proches, que le président, lorsqu'il était porte-parole du gouvernement, lui recommandait de "faire donner le FN dans les médias". Il dément, outré, la phrase assassine de Jacques Attali dans Verbatim : "Max Gallo quitte le gouvernement. On me dit qu'il en est très amer."

"Max Gallo est un "homme d'hommes" plus qu'un homme d'idées. En littérature, il se cherche des héros. Dans la politique, il est attiré par des personnages. Il a pensé que ce pourrait être François Mitterrand", juge François Hollande, son directeur de cabinet de 1983 et 1984, avant de le suivre au Matin de Paris. Ensemble, ou presque, Hollande et Gallo avaient écrit La Troisième Alliance, pour un nouvel individualisme, un éloge de Laurent Fabius, le modernisateur, et de François Mitterrand, l'européen. "Fin 1983, j'ai fait un pronostic, raconte Gallo. J'ai dit à François Hollande : "Tu seras un jour premier ministre." Pendant des années, j'ai cru que je m'étais trompé. Aujourd'hui, je crois que je vais avoir raison. Il a une très grande agilité intellectuelle. Dommage que, comme tous ces nouveaux Edgar Faure, il ne soit pas très raide dans ses convictions. Mais c'est sans doute l'époque qui veut ça." François Hollande, lui, a "appris une chose" de Gallo : "à manipuler les médias".

Jean-Pierre Chevènement profite de ce savoir-faire. En matière d'élection, Max Gallo ne croit plus qu'en "une seule loi historique, celle de la surprise". Il est en outre persuadé qu'avec une phalange d'intellectuels et de journalistes, quelques idées, et évidemment un grand homme capable du 18 juin ou du 18 Brumaire, tout peut arriver. Encore faut-il un peu de mousse. C'est lorsqu'il voit Bernadette Chirac chez Michel Drucker – "un chef-d'œuvre de communication, pensé au millimètre, une France idéale et nostalgique soufflée de manière subliminale" – que Max Gallo aide à préparer le "Vivement dimanche" du "Che", fin décembre 2001. Il suggère une séquence sur la "France du Doubs", juge indispensable la présence de l'équipe de médecins du Val-de-Grâce en blouse blanche. Max adore fabriquer, jouer, manipuler. En 1971, "Martin Gray n'a pas écrit une ligne d'Au nom de tous les miens", rappelle ainsi Robert Laffont, son ami et premier éditeur. "Max a la même capacité à se glisser dans le malheur d'un autre que de prendre l'habit de Napoléon." Depuis, l'écrivain aux quatre-vingts livres reste "ghostwriter" pour quelques autres, dont il tait farouchement les noms.

De Socialisme à République à son vote pour Charles Pasqua, aux élections européennes de 1999, en passant par la création du petit club Refondations, en 1991, avec l'ancien ministre communiste Charles Fiterman, Max Gallo était sans doute le seul, par son itinéraire, à pouvoir rassembler, le temps d'une campagne, les "républicains des deux rives". "Il y a chez lui un côté ancien stal, qui déteste tout ce qui est mou", résume un proche."Il n'aime ni les soldats des combats perdus de la gauche ni tout ce qui vient de la social-démocratie."

Il y ajoute un indéniable don de tribun. "C'est l'un des plus remarquables orateurs de notre époque : du coffre, de l'inspiration, de la culture", admire Jean-Pierre Chevènement. Si, pour écrire ses épopées à la morale républicaine, il doit d'abord lire, noter, griffonner des ronds et des triangles dans des petits carnets, laisser souvent macérer toutes ses pensées écumantes dans un bain, il n'"arrive pas", curieusement, à coucher ses discours par écrit.

Sur les estrades, qu'il parcourt depuis quelques semaines et où l'on se presse pour entendre l'écrivain à succès, Max Gallo ne recule devant aucune enflure, aucun effet spécial. "Parler, faire un vrai discours, prendre une salle, la maîtriser, faire en sorte que pas une tête ne bouge, c'est un plus grand plaisir qu'écrire, parce qu'on y ajoute le plaisir physique", réfléchit-il. Au règne du "pareil au même", le premier ministre, qui, selon lui, a vendu la Corse et la République par appartements, est éreinté sans manières et avec une froide colère. "J'ai encore en tête les ricanements de Lionel Jospin quand le Ceres est devenu Socialisme et République. Il a manqué moralement. Il n'a pas l'image vertueuse qu'en donnent les médias. C'est un politique politicien pur, amoureux du pouvoir plus que tout autre."

Sur l'estrade, Max Gallo joue à faire peur. Il prédit la mort de la France après la mort du franc, s'affole du "Munich" des valeurs républicaines. Et il fait peur, presque autant que l'homme à la "casquette noire" et aux ongles "sales et pointus" de La Bague magique, un livre pour enfants méconnu qu'il a écrit en 1981 dans la collection "Imagirêve" de Casterman. Un cauchemar. Max Gallo s'étonne sincèrement : "Les enfants aiment bien qu'on leur fasse peur, non ?" Les Français aussi, espère-t-il sans doute.

Ariane Chemin.